Nous vous partageons ici un mémo envoyé par le cabinet d’avocats Bold intitulé « Coronavirus, force majeure et imprévision »
I. LA FORCE MAJEURE
Le ministère de l’économie a confirmé le 28 février 2020 que le coronavirus était considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises, en particulier au regard des marchés publics de l’état.
Une telle affirmation sera certainement prochainement étendue aux contrats de droit privé.
Peut-on pour autant considérer que, pour les contrats commerciaux qui ont vocation à s’exécuter en France, les parties peuvent suspendre leurs obligations ou résoudre le contrat de plein droit pour ce motif ?
Selon l’article 1218 du code civil :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
Ces dispositions peuvent être contractuellement aménagées. En d’autres termes, les parties peuvent prévoir contractuellement :
(i) Une définition spécifique de la force majeure ;
(ii) Des modalités d’exécution du contrat dans un pareil cas.
Étape 1 : Vérifier les dispositions contractuelles : la définition de la force majeure prévue au contrat
Il convient de vérifier avant toute chose si les parties ont prévu ou non une clause « force majeure » dans leur contrat et d’analyser la définition de la force majeure :
La plupart du temps, les parties renvoient à l’article 1218 du code civil sans donner plus de précisions.
Parfois les parties listent les cas de force majeure (incendie, tempête, tremblement de terre, épidémie).
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Si les parties prévoient que la liste est exhaustive, seuls les cas limitativement prévus par les parties pourront être considérés comme un cas de force majeure.
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Si la liste n’est pas exhaustive, un évènement non listé par le contrat pourra être considéré comme un cas de force majeure, s’il répond aux conditions de l’article 1218 du code civil.
Étape 2 : Vérifier si l’épidémie de coronavirus remplit les conditions de la force majeure au cas par cas
Lorsque les parties ont renvoyé à l’article 1218 ou n’ont pas défini le cas de force majeure, il convient de se reporter au texte du code civil.
Aux termes du code civil, nous sommes bien en présence d’un cas de force majeure « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Le texte pose ainsi 4 conditions :
L’évènement doit échapper au contrôle du débiteur de l’obligation ;
Dans le cas du Covid-19, il est clair que l’épidémie échappe totalement au contrôle des parties. La première condition est donc indiscutablement remplie.
L’évènement ne doit pas être prévisible au moment de la conclusion du contrat ;
Le caractère prévisible de l’épidémie de Coronavirus va dépendre de la date de signature du contrat. Il semblerait en effet que cela soit uniquement le cas pour les contrats conclus avant le 30 janvier 2020, date à laquelle l’Organisation Mondiale de la Santé a qualifié l’épidémie d’urgence de santé publique. Depuis cette date, le critère de l’imprévisibilité est plus discutable, mais peut être toujours démontré dans la mesure où des mesures de prévention dans certaines zones géographiques (confinement de la population, interdictions des rassemblements d’une certaine ampleur, interdiction de voyager) ont été prises à compter du 12 mars 2020.
Cela va dépendre de savoir si les mesures prises étaient prévisibles ou non à la date de la conclusion du contrat.
Si le contrat est antérieur à l’adoption des mesures, la condition d’imprévisibilité serait donc remplie.
Si le contrat est postérieur, cela sera plus discutable.
Les effets de l’évènement ne peuvent être évités par des mesures appropriées ;
L’analyse doit être faite au cas par cas.
Il conviendra d’analyser si les effets de l’épidémie(fermeture des établissements scolaires, des commerces, restaurants, les mesures de confinement, l’interdiction des rassemblements) ne peuvent être évités par des mesures appropriées (ex : formation à distance, livraison à domicile…).
L’exécution de l’obligation doit être empêchée.
L’analyse doit être également faite au cas par cas, en fonction du type de
prestations fournies.
Étape 3 : Déterminer les conséquences du cas de force majeure si les conditions ci-dessus sont remplies
A titre d’exemple, nos templates de contrat aménagent la clause de force majeure de la manière suivante :
« Aucune des Parties ne saurait être tenue responsable des difficultés ou impossibilités momentanées d’exécution des présentes qui auraient pour origine la force majeure.
Dans l’hypothèse d’un cas de force majeure faisant obstacle à l’exécution de ses obligations par une Partie et se poursuivant au-delà d’une durée d’un mois, le présent contrat pourra être résilié par l’une ou l’autre des Parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, sans qu’aucune des Parties n’ait à verser à l’autre une quelconque indemnité ».
Dans ce cas, la force majeure doit faire obstacle à l’exécution du contrat pendant plus d’un mois. Les parties devront donc attendre un délai d’un mois avant d’arrêter d’exécuter leurs obligations et de le résilier par lettre recommandée.
L’article 1351 du code civil prévoit également expressément la possibilité pour les parties de prévoir qu’une partie puisse supporter les risques de la force majeure. Dans ce cas, elle ne sera pas libérée de son engagement, même en cas d’empêchement définitif.
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Etape 3-2 : Déterminer les conséquences si le contrat ne prévoit pas de modalités particulières
Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 1218 du code civil :
« Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
L’article 1351 prévoit en outre que :
« L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure ».
Le sort du contrat dépendra donc de savoir si l’empêchement est temporaire ou définitif.
Si l’empêchement est temporaire :
Les obligations seront seulement suspendues, sauf si le retard justifie la résolution du contrat. Ex : retard de livraison de matériels pour un évènement particulier
Si l’empêchement est définitif :
Le contrat sera résolu de plein droit.
La rétroactivité liée à la résolution du contrat a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient au moment de la conclusion de celui-ci, comme s’il n’avait jamais existé.
En d’autres termes, chacune des parties doit restituer ce qui été remis par l’autre.
Ex : contrat de vente (restitution du bien contre remboursement). Dans le cas d’une prestation de service, conformément à l’article 1229 du code
civil :
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Dans le cas d’une prestation de service instantanée qui se trouve définitivement empêchée : Les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre.
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Dans le cas d’une prestation de service à exécution successive, la résolution ne peut être faite que pour l’avenir. Il s’agit donc d’une résiliation. Il n’y a donc pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie.
Attention : Conformément à l’article 1351 du code civil, le débiteur de l’obligation ne pourra pas se prévaloir de la force majeure dans le cas où il a été mis en demeure d’exécuter son obligation avant la survenance de la force majeure.
II. L’IMPREVISION
Au-delà de la question de la force majeure, nous pouvons également nous interroger sur la question de l’imprévision.
L’article 1195 du code civil prévoit en effet : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
L’article 1195 du code civil permet ainsi, en cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution de ce contrat excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, que cette dernière entame des démarches de renégociation à son cocontractant.
Cela pourrait notamment être une solution lorsqu’une partie dispose des moyens de contourner les effets du Coronavirus par la mise en œuvre de mesures appropriées (formation à distance, etc) rendant la force majeure difficilement invocable, mais qu’elle souhaite demander une renégociation du contrat dans la mesure où la mise en place de ces mesures sont particulièrement onéreuses.
Étape 1 : Vérifier les dispositions contractuelles
Les parties peuvent aménager contractuellement le cas d’imprévision (notamment l’exclure, ou faire peser le risque sur l’une des parties).
Il conviendra dans un premier temps d’analyser les dispositions contractuelles prévues.
Étape 2 : Si le contrat ne prévoit rien, vérifier si l’épidémie de coronavirus remplit les conditions de l’imprévision
Lorsque les parties ont renvoyé à l’article 1195 du code civil ou n’ont rien prévu, il convient de se reporter au texte du code civil :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».
Le texte pose ainsi 3 conditions :
L’évènement ne doit pas être prévisible au moment de la conclusion du contrat ;
Comme indiqué ci-dessus, le caractère prévisible de l’épidémie de Coronavirus va dépendre de la date de signature du contrat. Il semblerait en effet que cela soit le cas pour les contrats conclus avant le 30 janvier 2020, date à laquelle l’Organisation Mondiale de la Santé avait qualifié l’épidémie d’urgence de santé publique. Depuis cette date, le critère de l’imprévisibilité est plus discutable.
Si le contrat est antérieur au 30 janvier 2020, la condition serait donc remplie.
Si le contrat est postérieur, cela sera plus discutable.
L’exécution du contrat doit être excessivement onéreuse pour une des parties
Ex : paiement d’un loyer (bail commercial) alors que l’entreprise n’occupe plus les locaux en raison du confinement général
Aucune des parties n’a accepté d’en assumer le risque.
Étape 3 : Déterminer les conséquences si les conditions sont remplies
Si les conditions ci-dessus sont remplies, il pourra être demandé au cocontractant de renégocier le contrat.
Pendant la négociation, les parties doivent continuer d’exécuter le contrat. En cas de refus ou d’échec de la négociation, les parties pourront :
- Résoudre le contrat à une date déterminée ;
- Demander au juge l’adaptation du contrat, ou d’y mettre fin.